# 14 Engagement
Le geste théâtral, l’action de se poser devant un public et de prendre la parole au nom du corps collectif, c’est peut-être déjà un acte militant.
THÉÂTREENGAGEMENTFÉMINISME
Erica Letailleur
12/2/20242 min read
Le geste théâtral, l’action de se poser devant un public et de prendre la parole au nom du corps collectif, c’est peut-être déjà un acte militant.
Il y a une dizaine de jours, j’ai été invitée à modérer un débat lors du Festival du Cinéma Social, à Nice, autour du documentaire Au bord de la guerre, de Duccio Bellugi Vannuccini et Thomas Briat, qui montre le Théâtre du Soleil mener une École Nomade à Kyev, en Ukraine. Un théâtre en bord de guerre, un bord de plateau avec des comédiens de toute l’Ukraine, venus là pour faire du théâtre malgré la perte de sens dont la guerre est porteuse.
La semaine dernière, je suis intervenue durant une soirée organisée contre les violences faites aux femmes, par la Maison de la Vie Associative et Citoyenne du 8ème arrondissement de Paris.
On pourrait croire que ces deux actions sont extrêmement différentes – et elles le sont. Dans un cas, j’ai travaillé à faire se rencontrer un public avec l’auteur d’un film, témoin engagé d’un geste artistique en train de se faire. Dans un autre cas, j’ai partagé un extrait des Aventures merveilleuses de l’inexistante Ayşe, avec un public composé de personnes concernées, de victimes de violences en voie de reconstruction, de guérison, un public initié aux aspects les plus sombres de l’humanité.
Pourtant, il semble qu’il y ait un lien qu’Ariane Mnouchkine exprime dans le film de la manière suivante : "Chercher le petit pour trouver le grand". Ne pas montrer directement les choses, ne pas non plus vouloir aller chercher la métaphore de la violence pour en parler : faire confiance à celui qui regarde.
En réalité, c’est peut-être la différence entre l’acte thérapeutique et l’acte théâtral effectué par un artiste dont la neutralité relative permet de mettre la vie en abyme. Les acteurs du film veulent éviter de parler de la guerre, mais ils n’y parviennent pas et même une improvisation sur un personnage qui revient de la boulangerie sera lue à différents degrés, comme la représentation d’un conflit : je défends ce qui m’appartient.
Les actrices que j’ai rencontrées lors de la soirée contre les violences faites aux femmes expriment volontairement leurs témoignages, elles subliment leur vécu, font de ce qui aurait pu les détruire et les morceler, une force d’expression pour lutter contre. Un des acteurs du film l’exprime en ce sens : « le théâtre est une arme de vie ».
En participant à ces deux événements, je pense aux répétitions des Criminelles, qui approchent à grands pas. Parfois, je me dis que cette pièce descend dans des profondeurs tellement ténébreuses, qu’il va être impossible de faire quelque chose qui soit supportable pour le regard du public – seule la dimension comique (même si elle est très noire), permet finalement au public d’accepter d’entendre et de voir l’horreur de la réponse à la violence par la violence. Pourtant, tout notre travail va consister à ne pas aller chercher le comique pour rire, la noirceur pour effrayer, la violence pour dénoncer.
C’est un point qui m’interpelle et auquel je n’ai pas la réponse : pour quoi est-ce qu’on milite, quand on présente une pièce qui montre la pulsion meurtrière et la vengeance portée à son paroxysme avec le passage à l’acte ? – Ce n’est ni une pièce thérapeutique, ni une pièce militante, mais alors : pour dire quoi est-ce que nous la portons au théâtre ? – Je crois aujourd’hui qu’il y a mille réponses et aucune. Au fond, je ne sais même pas si c’est une bonne question.