#15 bonheur

Nous sommes dans un vieux cinéma, dans un centre de congrès. La salle est immense. Autour de moi, une quinzaine de participants, jeunes et moins jeunes, venus d’un peu tous les horizons artistiques. Un joyeux mélange d’amateurs, de professionnels, de curieux, d’ambitieux, d’affamés de théâtre… Et cette expérience si courte s’est transformée en une véritable leçon de vie et de théâtre pour nous tous.

Erica Letailleur

12/18/20242 min read

Il y a quelques jours, j’étais invitée par le Festival International de Théâtre d’Ankara, pour diriger un atelier sur l’art de l’acteur entre deux cultures. C’est Türel Ezici qui m’a appelée pour me proposer d’intervenir de cette manière dans la programmation, parce qu’elle avait vu que je jouais Les Aventures merveilleuses de l’inexistante Ayşe de Zeynep Kaçar en français : elle m’invitait à animer un stage à partir de cette expérience. Plutôt que de partir dans le sens du turc vers le français, j’ai souhaité faire le trajet inverse : du français vers le turc. J’ai donc proposé l’idée de l’entre-cultures, pour pouvoir « inviter » les participants à dépasser les clichés culturels et plonger dans les profondeurs d’un rôle, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.

Pour cela, j’ai traduit en turc avec l’aide de Neslihan Derya Demirel, deux monologues extraits de la pièce Les Cinq Sens, de Rémi de Vos. Et j’ai préparé tout un travail pour les participants. Cela devait être rapide, car nous avions seulement deux jours. L’organisation du festival avait eu l’idée de proposer une sorte de partage public à la fin du stage. Nous avions heureusement volontairement laissé le terme ouvert, pour qu’il puisse englober une présentation d’étape de travail, un échange avec le public ou même une conférence, selon les besoins et l’état de ce que nous aurions fait.

Nous sommes dans un vieux cinéma, dans un centre de congrès. La salle est immense. Autour de moi, une quinzaine de participants, jeunes et moins jeunes, venus d’un peu tous les horizons artistiques. Un joyeux mélange d’amateurs, de professionnels, de curieux, d’ambitieux, d’affamés de théâtre… et le stage a commencé. Au bout d’une heure, le dynamisme du groupe a démonté toutes mes grandes idées sur le travail entre deux cultures. Ils se situaient clairement au-delà et ont compris très vite ce que j’avais prévu de leur raconter pendant deux jours.

Ils voulaient simplement jouer.

Alors c’est ce que nous avons fait.

Pendant deux jours, nous avons travaillé sur l’idée de fête. Sur le conflit intérieur. Sur la volonté de partager un secret qu’on ne peut pas partager. De raconter une histoire que personne ne veut entendre. Sur le chœur et le récité à plusieurs.

Et cette expérience si courte de stage s’est transformée en une véritable leçon de vie et de théâtre pour nous tous.

En deux jours, nous avons réussi collectivement à partager une joie immense d’être simplement ensemble, de créer quelque chose qui n’était absolument pas fini, de le montrer à d’autres personnes dans cet immense cinéma dans lequel nous aurions pu nous sentir perdus et froids, mais dans lequel tout le contraire s’est produit. C’est un moment de célébration, de bonheur, de vie simple, de récit, que nous avons partagé tous ensemble.